Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Lotus
17 mars 2011

Japon dévasté - L'étonnante maîtrise de soi des Japonais

 

Torri_and

Tokyo Correspondant - Chaque année le 1er septembre, date anniversaire du grand tremblement de terre du Kanto (région de Tokyo) en 1923 (d'une magnitude de 7,9 qui fit 142 000 victimes), la capitale japonaise se prépare à un séisme.

 A la simulation des mesures à prendre par la cellule de crise du cabinet placé sous la direction du premier ministre, Naoto Kan, s'ajoutent des exercices dans les écoles. Les professeurs montrent aux élèves où ils peuvent se réfugier sur le chemin du retour à la maison (terrain de sport, parcs), à utiliser des extincteurs et à se coiffer d'une capuche anti-choc qui se trouve dans leur pupitre. Les grands magasins ont toujours un rayon consacré aux équipements anti-sinistres : lampes torches, casques, produits de première nécessité.

Dans les manuels scolaires figure la légende de ce paysan qui, en train de moissonner le riz sur une colline, vit un tsunami arriver et, dans l'impossibilité de prévenir le village, mit le feu à sa récolte : pensant qu'il y avait un incendie les villageois sont montés sur la colline et ils ont été sauvés.

Peuple voisin, dont la civilisation influença à bien des égards celle de l'Archipel, les Chinois soulignent dans leurs médias le calme des Japonais. Inconscience ? Contrôle de soi ? Bien, évidemment, tout le monde est inquiet. Les images dramatiques du Tohoku (région septentrionale du Honshu) sont bouleversantes. Personne ne se sent à l'abri : demain peut-être, ailleurs, ce sera ainsi. Mais que faire ? Pour la majorité des Japonais, il faut reconnaître l'impuissance de chacun. Peut-être l'homme parviendra-t-il à arrêter ses "machines infernales", les centrales nucléaires. C'est l'espoir du jour. Pour le reste - les forces telluriques - on ne peut qu'attendre...

Le sentiment d'effroi est sensible chez chacun. Une réplique (de magnitude 7) annoncée, suivie probablement d'un nouveau tsunami, hante les esprits. Tout le monde est conscient que le pays est confronté au plus grand désastre depuis la guerre. Le séisme de Kobe en 1995 était dramatique (6433 morts) mais ses effets circonscrits dans l'espace. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Sans doute, le bouddhisme, que l'on soit croyant ou non, imprègne les mentalités et favorise ce calme par une acceptation de l'inévitable. Celui-ci conduit aussi à un certain conformisme social. "Tout ce qui a une forme est appelé à disparaître" : dès l'enfance, chacun le sait.

Arrivé au VIe siècle, le bouddhisme a trouvé au Japon un terrain d'autant plus fertile que les croyances animistes locales, rassemblées sous l'appellation générique de culte shinto ("voie des dieux"), avaient elles-mêmes cultivé ce sens de précarité du monde animé de forces dépassant l'entendement. Les calamités naturelles (éruption, séisme, tsunami) sont une donnée de la vie. Jusqu'à un certain point, le Milieu conjugué à une histoire, structure les mentalités, l'existence sociale. Et les Japonais cherchent plus dans la croyance un apaisement qu'une vérité.

Sentiment d' impermanence

Les dégâts entraînés par des désastres naturels qui rappellent la puissance de la nature ont enraciné en eux un sentiment d'impermanence, rappelle le spécialiste des religions Tetsuo Yamaori.

Il conduit à une conception de la mort comme partie intégrante de la vie. Ce qui n'écarte ni l'infini chagrin de la perte des êtres chers, ni l'effroi. L'éducation transmise par les parents - tout ce que l'on apprend sans vraiment en avoir conscience - vise en outre à la maîtrise de soi. D'autres peuples trouvent dans l'extraversion une soupape à l'angoisse. Les Japonais n'exultent pas leur révolte contre l'inexorable ou leur chagrin. Ils en souffrent silencieusement.

Eux aussi sont animés d'ambitions prométhéennes - leur expansion ravageuse pour l'environnement l'a prouvé - mais les cauchemars de leur histoire n'ont eu de cesse de leur rappeler la vanité de leur entreprise. Un désastre aussi dramatique soit-il n'est pas synonyme apocalypse - comme si la précarité de toute chose véhiculait une promesse de renouveau. Mais, pour l'instant, c'est encore le sursaut d'une force incommensurable qu'ils redoutent.

Philippe Pons Article paru dans Le Monde  - édition abonné du 15.03.11

lanterne_jardin_jap_inanim_

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Lotus
Newsletter
Archives
Publicité